samedi 12 décembre 2015

LES MARTIN-PÊCHEURS

Dans ce blog satirique, les personnages sont sortis de l'imaginaire et de stricte invention : toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé et toute homonymie avec des noms propres ou des noms privés ne serait que pure coïncidence.




Autrefois, Garsson était un village très prisé pour la pêche ; l'on venait depuis le chef-lieu du département pour venir pêcher dans le canal et la Pris : de nombreuses cartes postales en témoignent et il y avait un train spécial qui déversait tôt le matin les pêcheurs dans le village.

Aujourd'hui, il y a de moins en moins de pêcheurs, signe que les temps et les loisirs ont changé. La pêche est devenue un loisir de luxe.

Dans le village de Garsson, il y a deux garçons qui s'appellent Martin : "il n'y a pas qu'un âne qui s'ap..." . Ce sont deux célibataires qui sont toujours passionnés de la pêche et, croyez-moi, ils sont "fine gaule". Récemment, l'un d'entre eux a pêché un brochet dans le canal et, au début de l'hiver, dans la campagne endormie, ils pêchent le sandre près du pont de la Pris et le sandre n'a qu'à bien se tenir.

L'aîné est un malabar, costaud que les gens surnomment "Coup de Boule" (1) tandis que son frère qui a hérité du surnom de "Brin de Jonc" (2) est maigre et étriqué. Ils n'ont pas la langue dans leur poche et plutôt un franc-parler ; surtout l'aîné quand il vous cause, çà surprend un peu au premier abord car il est un peu rustre et brut de décoffrage. Sa franchise de langage lui a valut bien des inimitiés mais à l'analyse, il dit tout haut ce que d'aucun pense tout bas. L'an dernier, ils pêchaient le long de la Pris sur les terres du Manoir de Saint-Guy. Ces matins-là, leur réveil n'a pas besoin de sonner. Au lever du jour, le café avalé, le matériel chargé dans la voiture, c'est le départ furtif en direction du Manoir. Ils devinent tout ce qui se passe au village : les allées et venues de Pierre et Paul ... rien ne leur échappe.

(1) et (2) : surnoms d'emprunt.  



Bref, en attendant, ils s'installent : tout est calme. Ils ont posé les lignes de fond et les grenouilles entament leur concert matinal. Puis, les garçons s'attaquent aux gardons : ils sont là, frétillants. La plume de leur ligne légère plonge plus souvent : les gardons sont sur le coup mais repartiront aussi mystérieusement qu'ils sont venus. 

La brume s'effiloche et le soleil se lève derrière le rideau de peupliers. C'est le moment qu'a choisi un habitant d'un village voisin pour venir faire le tour du propriétaire, celui-ci comptant parmi les bénévoles occupés à rénover le Manoir.  

C'est un petit monsieur, épais comme une page d'histoire sainte mais toujours à "fouiner partout" comme disent les deux Martin pêcheurs. Ce petit Monsieur, en l'occurrence, très affable et dévoué, se prend pour le garde-champêtre du village, rôle qu'il s'est attribué lui-même et qui lui vaut bien des quolibets. Il semble disert mais avec, cependant, cette propension à la cachotterie propre aux gens de la campagne.

Ce matin-là, il apostrophe les deux Martin en ces termes "Mais qu'est-ce-que vous foutez-là ?" (sic). "Coup de Boule" et "Brin de Jonc" qui n'aiment pas que l'on vienne les perturber dans ces moments cruciaux où leur bouchon taquine les gardons, se lèvent d'un seul bond. 
- "De quoi vous mêlez-vous, vous ne savez-donc pas que les pêcheurs ont un droit de passage de 3,25 m. le long des cours-d'eau ?".
 

Le ton monte tandis qu'au bout d'un lancer le grelot a sonné. 

Le "garde-champêtre" qui, visiblement ne connaît pas le règlement, bat en retraite. Il n'impressionne nullement nos deux pêcheurs qui se méfient plutôt du garde-pêche. Le petit monsieur s'éloigne tandis que "Coup de Boule" et "Brin de Jonc" réalisent que la matinée est déjà bien avancée et qu'il est temps, maintenant, de s'attaquer à la bouteille de derrière les fagots qu'ils ont, au moyen d'une ficelle, fait glisser vers l'onde frémissante avec des précautions de plongeur en eau profonde.

Il faut dire que nos compères n'ont pas oublié la frustration d'un cruchon de rosé de Provence échappant aux papilles gustatives pour se laisser entraîner, bien malgré lui, dans d'obscures profondeurs, au fil de l'eau courante. L'an passé et toujours en été, un jour que le soleil coulait du plomb sur les rives de la Pris, ils avaient décidé de lester une bouteille de rosé, frais et léger comme une eau de source, au flanc d'une barque amarrée et soi-disant délaissée depuis belle lurette ! "Tant va la cruche à l'eau qu'elle se casse ?..." (d'après le dicton), non ! là, elle se barre avec le matelot inattendu qui n'en espérait pas tant tandis que nos deux pêcheurs somnolaient le long de la rivière. 

Cette fois-ci, en surveillant le bouchon, ils ne perdent pas de vue le nectar en plongée, déformé par le clapotis de l'eau. 

Voilà un autre importun. C'est un vieux Monsieur, encore plus vieux que le "garde champêtre" et qui déambule sur le chemin du halage. Il n'est pas pressé, évidemment, et il engage la conversation avec nos pêcheurs qui ne demandent que cela. Il a quitté le pays depuis fort longtemps et il se souvient ...


Dans sa tendre enfance, avec sa maman, il descendait la brouette en bois depuis le Manoir jusqu'à la rivière. Pendant que sa maman lavait son linge dans la Pris : "Ah ! le bon temps des rivières poissonneuses comme la Pris, la pêche aux grenouilles et les après-midi de langueur à musarder le long des berges à regarder au fond de la rivière les poissons s'ébattre, les milliers d'ablettes en surface car l'eau était si claire : c'est toute une tranche de vie, çà....".

Il se rappelle très bien, c'était juste après la guerre, il avait pris une anguille énorme près du pont de la Pris ; or, maintenant, on lui dit qu'il n'est plus pêché d'anguilles dans la Pris : "encore une espèce en voie de disparition" songe l'homme aux souvenirs. Il est revenu au pays avec les cheveux blancs, il avait toujours la même passion pour la pêche mais la clarté de la Pris avait disparu. Alors, là, visiblement, les deux Martin ne sont pas partis car pour le coup le vieux Monsieur nostalgique est invité à goûter à la clarté du vin rosé...

La bouteille remontée, les deux pêcheurs jouent du tire-bouchon et le miracle s'accomplit : dans le verre, soudain, c'est un rayon de bonheur qui glougloute. Le vieil homme sourit, placide. "Super à l'aise, Blaise", soupire d'aise "Coup de Boule" et il se dit "Heureusement, quand çà ne mord pas, il reste toujours l'occasion de boire un bon coup et même de discuter le coup".  

Puis  "Radio Nostalgie" est reparti comme il était venu. 



  

Carte humoristique pêche

  

lundi 27 juillet 2015

DU DÉSOLANT ET DU GROTESQUE !

Dans ce blog satirique, les personnages sont sortis de l'imaginaire et de stricte invention : toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé et toute homonymie avec des noms propres ou des noms privés ne serait que pure coïncidence.



JUILLET 2015
  
   

Jules Renard a écrit "La paresse est l'habitude prise de se reposer avant la fatigue". Dans la torpeur de ce début d'été brûlant, les après-midi sont fatalement voués au farniente. Le farniente est un art subtil qui exige une pratique experte en matière de mœurs et coutumes estivales. On peut s'adonner à ses loisirs préférés et puis, à la fraîcheur de la nuit tombée, s'en aller admirer les feux d'artifice qui embrasent habituellement villes et villages à l'occasion de la fête nationale.

Ce fut donc le cas dans notre commune puisque, cette année, la fête organisée par le comité à l'occasion du 14 Juillet mais qui avait lieu rituellement le premier week-end du mois, se déroulait finalement le 11. Bien décidés à maintenir la tradition locale, les citoyens sont allés voir le feu d'artifice tiré depuis la rivière dans l'empyrée vespéral de juillet.

A leur grande surprise, ils ne furent pas accueillis par les flons-flons du bal mais par un concert d'indignations. Un élu du village aurait stationné son véhicule pendant toute la durée de la fête sur un emplacement réservé aux handicapés. Toute la soirée, il fut copieusement habillé pour l'été. Sachant qu'il ne se gêne pas pour culpabiliser un concitoyen qui prend la voiture pour aller acheter la baguette de pain, tous pensaient donc raisonnablement que cet ardent défenseur de la planète roulait en vélo.

Enfin, si les faits sont avérés, on est en droit de sourire, mais on ne sait plus si ce sourire doit être amer ou amusé.

De toute façon, de tels comportements sont tout à fait indignes et totalement irrespectueux surtout quand ils sont pratiqués par des élus. Avec leurs gros sabots idéologiques englués dans leur bien-pensance, nous en étions encore à croire que le fait de faciliter le stationnement des personnes handicapées ou à mobilité réduite sur des emplacements réservés faisait partie de leur loyauté morale.

À cette occasion, j'ai lu un article relatant un fait divers similaire relayé par le web et les réseaux sociaux :

"A Maringa, une ville située dans le sud du Brésil, un conducteur a appris à ses dépens qu’il n’aurait pas dû se garer sur une place réservée aux handicapés. Et il a eu la honte de sa vie, ce mercredi 24 juin.
Les zones de stationnement réservées aux handicapés sont pourtant bien visibles dans les agglomérations brésiliennes, avec des inscriptions au sol. Un homme a retrouvé sa voiture couverte de Post-it bleus et blancs, les couleurs utilisées pour le logo délimitant l’emplacement pour handicapés. L’automobiliste a découvert à son retour le « travail artistique » qui lui avait été réservé, sous le regard de plusieurs dizaines de personnes. Certaines ont pris des photos et des vidéos...." 

A méditer...



samedi 30 mai 2015

LA FÊTE DES VOISINS

Dans ce blog satirique, les personnages sont sortis de l'imaginaire et de stricte invention : toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé et toute homonymie avec des noms propres ou des noms privés ne serait que pure coïncidence.





carte humoristique




Chacun sait que la vie n'est qu'un océan de contrariétés où surnagent parfois - heureusement - quelques nappes de bonheur. 

Les fêtes de voisins à Garsson devraient figurer dans ces quelques nappes depuis qu'Atanase Périfan eût l'idée originale et géniale, en 1999, d'instaurer, partout en France, la fête des voisins. D'origine macédonienne, Atanase Périfan aurait pu devenir le symbole d'une réconciliation nationale mais il fut un farouche opposant du mariage pour tous...  

La fête des voisins est devenue une institution car le concept a été repris par tous les bobos et voilà une bonne occasion de se divertir en "bonne" compagnie. Les conseillers élus en 2008 en avaient fait un rituel et une photo de leurs agapes a figuré en bonne place dans la feuille de chou municipale "Les pieds dans l'eau".

A Garsson, en juin dernier, c'était une fête des voisins comme tous les bons français affectionnent. Un moment de partage autour d'un pique-nique où l'on est censé apprendre à se connaître. 

Tous les voisins ont été conviés mais deux couples ont carrément décliné l'invitation au prétexte que "les gens se tirent la bourre" le restant de l'année, ils ne voient franchement pas l'utilité de partager un pique nique avec eux (sic). Voilà au moins pour une fois - et une fois n'est pas coutume - ce que j'appellerais plutôt un franc-parler ! 

Autour des palets, les rires fusent ( "QUE DEMANDE LE PEUPLE ?" s'interrogeait (déjà) César (précision : Jules l'Empereur) : "DU PAIN et DES JEUX !". Donc, voilà, il faut rendre à César ce qui appartient à C.... car deux millénaires après lui, rien n'a changé !

Avant de se joindre à la petite réunion conviviale, certains sont passés par la cave et sur la grande tablée, il y a une profusion de bouteilles en tout genre. Le soleil est généreux, l'apéritif sur les tables. Une vieille demoiselle anglaise qui vient en villégiature ici, chaque été, est chaleureusement accueillie et chacun est invité à lever son verre "à l'entente cordiale !". 

Ainsi donc, à Garsson, village imaginaire du bord de la Pris, cet après-midi-là ça riait beaucoup, ça parlait fort mais c'était que du bonheur. Le bonheur à l'état pur, il est aussi dans une bouteille de rosé tout frais sorti de la cave par deux ou trois "pas tristes" poussant la chansonnette. Le
rosé ne s'embarrasse pas de l'étiquette, il a un goût de "soirs d'été". On s'en moque d'où il vient mais on sait que sans sa présence sur les tables de pic-nique, nos "soirées mondaines" auraient un goût d'inachevé. Le rosé est un fait de société qui balaie les emmerdes du quotidien.

Donc, tous les voisins - sauf les absents - se sont installés le long de la Pris et savourent l'instant présent.

Deux pêcheurs sous un parasol de l'autre côté de la rive les gratifient d'un "Bon appétit" auquel la petite assemblée, polie, répond par un très sonore "Merci" et l'on voit même l'un d'entre eux bondir de sa chaise en brandissant une bouteille de Ricard en guise de trophée. Puis, rapidement, l'apéritif avalé, le "conviviat" se met à table brûlant d'attaquer les nourritures terrestres.

Avant que les saucisses-merguez ne crament sur le grill du barbecue, les entrées arrivent sur la nappe des agapes, une guêpe descend en "piqué" sur le melon coupé en tranches tandis qu'une mouche fait des arabesques au-dessus d'un pot de rillettes du Mans. Mais rien qui n'altère la bonne humeur des convives ! Sauf, Eusèbe - paysan de son état - qui, sous l'effet de la chaleur et du bon vin, eut brusquement l'humeur belliqueuse et chagrine.

Il libéra sa bile contre les politicards véreux du canton, ceux que l'on ne voit jamais venir quand on  a besoin d'eux, qui ne se déplacent jamais pour apporter leur soutien sauf les jours des comices quand il s'agit d'y lever le coude. Rapidement, il enchaina sur des histoires polissonnes. 

Quand vient l'apparition des desserts, tous les yeux des gourmands sont rivés sur une charlotte aux poires et au chocolat et sur des tartes aux fruits rouges confectionnées par de bonnes pâtissières. Le goût de la charlotte est vraiment succulent, il fond tout simplement dans la bouche, "quand çà descend dans l'estomac, c'est comme le Bon Dieu en culotte de velours !" comme se plaisait à le dire, mon beau-père, dans les repas de famille, lui qui avait la faconde facile.  

A peine vides, une nouvelle rasade emplit les verres en même temps qu'elle réchauffe les cœurs. De la politique on est passé à des sous-entendus graveleux sur les édiles garssonnais. Les plaisanteries s'encanaillent, les convives sont de plus en plus bruyants et les chansons de plus en plus grivoises, quand soudain, entre la poire et le fromage, ulcérée d'entendre des gauloiseries, la vieille dame british aux oreilles chastes, s'indigne et se met en colère. Brusquement, on n'entend plus que les merles chanter !

Depuis des siècles et bien avant Cambronne, les Français adorent que, sous une forme ou une autre, mais dans un langage direct, on dise "merde" au roi d'Angleterre qui nous a déclaré la guerre !...

Les Garssonnais, là-dessus, surtout quand ils sont un peu éméchés, ne sont pas en reste, et, aussitôt, un convive bilingue lui a lancé deux ou trois jurons dans la langue de Shakespeare ; jurons soi-disant difficiles à traduire en français. Honni Soit Qui Mal Y Pense mais chacun a pu interpréter à sa façon et, dans sa langue maternelle, ces blasphèmes proférés de façon insolente à une représentante d'un pays voisin - voisin mais néanmoins ami - et de surcroît, sujet de sa Très Gracieuse Majesté.  Tout cela a jeté un froid sur le repas champêtre et l'entente cordiale en a pris un coup.

La vieille dame n'a pas cherché à savoir d'où la salve avait été tirée : outragée et désarçonnée, elle s'est empressée de retraverser la rue pour se réfugier dans sa résidence d'été, la cuirasse un peu déglinguée.

De la politique, des chansons paillardes et du vin rouge, c'est toute la France résumée en un jour ! 




image empruntée à www.quoidefun.fr
 
                                                        

CONCURRENCE DÉLOYALE ...

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